Au cœur de l’EHPAD : l’infirmier coordinateur, moteur de la qualité des soins

État des lieux : l’exigence de qualité dans le soin gériatrique

Le secteur gériatrique, et particulièrement la prise en charge en EHPAD, conjugue quotidiennement complexité médicale, fragilité humaine et impératifs réglementaires. Dans ce contexte singulier où chaque détail compte, la qualité des soins ne saurait reposer seulement sur la somme des compétences techniques individuelles. Elle est le résultat d’un maillage compliqué d’interactions humaines, d’organisation collective et de prise de décision. Depuis une vingtaine d’années, la démarche qualité en EHPAD est de plus en plus encadrée : recommandations de la HAS, évaluations internes et externes, indicateurs à renseigner (QUALIREL, Pathos, IPAQSS...). Mais derrière ces outils, c’est l’humain qui fait la différence. Et, sur l’échiquier de l’organisation, l’infirmier coordinateur (IDECO) en est la pièce maîtresse.

Organisation des soins : l’architecture invisible du quotidien

L’un des rôles centraux de l’infirmier coordinateur est d’agencer le parcours de soins de chaque résident, en orchestrant le travail de l’équipe paramédicale et en facilitant les échanges avec les médecins et autres intervenants (kinés, psychologues, etc.). Un EHPAD accueille en moyenne entre 80 et 120 résidents (Statista, 2023), avec en relais des équipes de 30 à 50 soignants en roulement. Dans cet environnement, sans organisation transversale, la qualité se délite rapidement.

  • Élaboration et suivi des projets de soins individualisés : l’IDECO garantit la traçabilité et l’actualisation des projets de vie et de soins, assurant leur cohérence avec les souhaits et évolutions de santé des résidents.
  • Gestion du circuit du médicament : il identifie les risques d’erreur médicamenteuse et installe des procédures (double vérification, suivi des stoppages de prescription, formation des équipes). Selon l’ANSM, la mise en place d’un IDE coordinateur réduit le risque d’événement indésirable lié aux médicaments de 25% en EHPAD.
  • Anticipation des ruptures de continuité : l’infirmier coordinateur assure le passage des informations lors des transmissions, gère les situations imprévues (hospitalisations, retours à domicile) et construit une organisation résiliente face à l’absentéisme ou la fluctuation des effectifs.

Il est rare que ces tâches soient visibles ; mais l’amélioration de la continuité des soins, la limitation des incidents et le maintien d’un suivi global en dépendent largement.

Management et dynamique d’équipe : l’artisanat du lien

En EHPAD, 70% des personnels se disent confrontés à un “sentiment de surcharge ou d’épuisement” au moins une fois par semaine (Baromètre OCIRP, 2022). L’impact de l’infirmier coordinateur sur la dynamique collective est donc capital.

  • Accompagnement des soignants : l’IDECO accompagne, forme, et soutient l’équipe : il oriente la pratique (gestion des situations d’urgence, réflexion sur les soins palliatifs, accompagnement de la fin de vie), permet la régulation face aux difficultés du quotidien.
  • Veille au climat relationnel : il repère les tensions et agit en médiateur, préservant la solidité du groupe. De l’avis de 84% des directeurs d’EHPAD (Enquête Fédération des Établissements Hospitaliers & d’Aide à la Personne – 2021), la présence d’un IDE coordinateur engagé est un facteur de fidélisation du personnel.
  • Développement professionnel : il impulse la formation continue, analyse les pratiques en équipe, fait émerger les bonnes idées, mutualise l’expérience au service de tous.

Son impact n’est pas seulement quantitatif (baisse du turnover, diminution de l’absentéisme), il est qualitatif : donner du sens, restaurer la confiance, renforcer la solidarité d’équipe, ce sont aussi des axes majeurs d’une qualité de soins durable.

Promotion des bonnes pratiques et prévention des risques

L’infirmier coordinateur pilote la mise en œuvre des bonnes pratiques, en s’appuyant sur une veille permanente des recommandations et sur sa connaissance du terrain. Certaines actions sont décisives :

  • Hygiène et prévention des infections : il structure la diffusion des recommandations (infections urinaires, cutanées, tuberculose...), supervise les audits d’hygiène et dans certains établissements, s’implique dans le suivi des indicateurs d’infection nosocomiale. Une étude du Pr. N. Paraponaris (2021) a montré que la présence active d’un IDE référent hygiène permet de réduire la prévalence des escarres de près de 40%.
  • Gestion des chutes : l’IDECO coordonne la cellule de gestion des risques, analyse chaque chute, pilote les plans d’actions de prévention, forme les soignants à l’évaluation multifactorielle.
  • Détection précoce de la dénutrition ou de la déshydratation : il met en place des outils de repérage (MNA, surveillance des ingesta), et anime la vigilance collective autour de ces enjeux - essentiels puisqu’un tiers des résidents en EHPAD présentent au moins un risque nutritionnel au cours de l’année (source : DREES, 2022).

Dimension éthique et lien avec les familles : l’IDECO, garant du sens

Au-delà des grilles d’évaluation et des protocoles, la qualité en gériatrie se mesure à une exigence fondamentale : respecter la personne, son histoire, ses choix, sa singularité. Sur ce terrain, l’infirmier coordinateur joue un rôle d’équilibriste.

  • Accompagnement au consentement, à l’autonomie : il veille, avec l’équipe, à ce que la parole du résident soit prise en compte dans les projets de soins. Selon la HAS (Guide 2021), 77% des familles en EHPAD identifient l’IDECO comme “interlocuteur privilégié pour évoquer les dilemmes éthiques ou évoquer les valeurs du résident”.
  • Communication avec les familles : c’est l’un des rôles les plus exposés, et souvent l’un des plus incompris. L’IDECO explique, rassure, relaie les informations difficiles (aggravation, hospitalisation, décès), recueille les attentes, et restaure la confiance lorsqu’elle vacille. Un rapport du Défenseur des droits (2023) relève que la qualité de l’information donnée aux familles dépend principalement de la disponibilité et de l’engagement de la coordination infirmière.
  • Médiation lors des situations complexes : conflits autour des fins de vie, mésententes sur les choix thérapeutiques, difficultés d’ajustement du projet de vie : l’infirmier coordinateur est souvent la personne de recours pour construire une réponse juste et équilibrée.

Formation, transmission et adaptabilité : trois leviers pour faire évoluer la qualité en établissement

L’infirmier coordinateur a un impact de long terme par son rôle de formateur et de transmetteur. Le secteur est en constante mutation : nouvelles pathologies, évolutions démographiques, changement des attentes des familles, contraintes législatives mouvantes. L’IDECO doit rester en veille et diffuser la culture du questionnement, afin que la qualité ne rime jamais avec routine :

  1. Veille professionnelle : participation aux réseaux gérontologiques, mise à jour continue des référentiels, transmission à l’équipe lors de réunions ou de temps de formation. Un EHPAD sur deux a institué un temps d’analyse des pratiques piloté par l’infirmier coordinateur (DREES, 2023).
  2. Accompagnement à l’innovation : introduction de nouvelles méthodes (approche Montessori, gestion non médicamenteuse des troubles du comportement, ateliers prévention des chutes, etc.), adaptation aux outils numériques, pilotage de projets pilotes.
  3. Souci de l’adaptabilité : la crise Covid a illustré à quel point l’anticipation et la réactivité de la coordination infirmière étant déterminantes dans la prévention des clusters ou la limitation du risque de rupture de soins (source : INVS 2021).

Pistes d’avenir : renforcer le rôle de la coordination pour une gériatrie digne

Les exigences de la société sur la qualité des soins en EHPAD ne cessent de croître. On attend de l’infirmier coordinateur qu’il soit non seulement expert du soin, mais aussi chef d’orchestre humain, manager, formateur, médiateur, innovateur. Or, seuls 38% des EHPAD disposent d’un poste d’IDECO à plein temps (DREES, 2023).

Alors même que les besoins explosent (+18% d’entrées en EHPAD entre 2015 et 2022), la fonction est parfois fragilisée par le manque de reconnaissance statutaire et de moyens. Renforcer son autonomie, sa formation, ses marges de manœuvre, sera décisif pour garantir une qualité de soins durable et éthique.

Réfléchir à l’impact de l’infirmier coordinateur, c’est donc, au fond, poser la question de la place qu’on veut donner à l’humain, à la réflexion collective, à la reconnaissance de l’engagement dans nos structures. Le chemin reste exigeant, mais c’est à cette hauteur d’exigence que la dignité de nos aînés se mesure, chaque jour, dans les EHPAD.

Sources :

  • Statista, Nombre moyen de résidents et d’agents en EHPAD en France, 2023
  • Baromètre OCIRP 2022 – “Bien-être et conditions de travail en EHPAD”
  • ANSM, “Médicaments et sécurité en EHPAD”, 2022
  • Enquête Fédération des EHPA, 2021
  • DREES, Les établissements pour personnes âgées en 2022
  • HAS, Guide Éthique en EHPAD, 2021
  • Défenseur des droits, Rapport 2023 sur la maltraitance en EHPAD
  • Pr. N. Paraponaris, Université d’Aix-Marseille, Étude sur la prévention des escarres, 2021
  • INVS, Retour d’expérience sur la gestion du Covid-19 en EHPAD, 2021

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