Planifier les soins en EHPAD : méthodes, outils et bonnes pratiques

L’agenda du soin en EHPAD : une équation à multiplicateurs

Planifier, c’est anticiper. Mais c’est aussi s’adapter à l’imprévu, à l’urgence, aux évolutions rapides de l’état de santé des personnes âgées. Selon la DREES (Études & Résultats, 2022), le résident moyen présente plus de 7 pathologies chroniques et bénéficie de près de 5 actes de soins quotidiens. Derrière chaque geste, une coordination sans faille. Les outils de planification deviennent alors des partenaires décisifs, pour trois raisons :

  • Améliorer la cohérence et la continuité des soins
  • Sécuriser l’information et la transmission entre professionnels
  • Gagner du temps sur l’organisation pour en consacrer plus à la relation

Les logiciels métiers pour la planification : l’ossature numérique

L’informatisation de la planification des soins en EHPAD est aujourd’hui quasi-généralisée. 87 % des établissements sont dotés d’un logiciel métier (source : Fédésap, 2023). Mais tous les outils ne se valent pas.

Le dossier de soins informatisé : base de la traçabilité

  • Exemples : NetSoins, Titan, Osiris
  • Permet le suivi longitudinal de chaque résident : diagnostic, prescriptions, observation clinique, actes réalisés, évaluations gériatriques…
  • La planification devient collaborative : le médecin ajuste, l’IDE organise, l’AS réalise et complète, l’équipe sait ce qui doit être fait et ce qui l’a été.

Un atout : paramétrer des alertes, des rappels, des échéances pour ne rien oublier dans la délivrance des traitements ou l’organisation des rendez-vous (vaccination, bilan sanguin, consultation mémoire...).

Les modules de planning et d’affectation

  • Pour les équipes, ces modules permettent d’affecter chaque professionnel à des plages horaires, zones de service ou résidents, tout en gérant l’équilibre sur la charge de travail.
  • Certains logiciels proposent des visualisations très parlantes (tableaux de bord, codes couleurs, légendes) pour repérer en un clin d’œil les tâches en attente ou urgentes.
  • Possibilité de lier chaque acte planifié à la prescription, ce qui contribue à lutter contre les omissions ou les redondances (HAS, Indicateurs Qualité du Grand Âge, 2023).

Mobilité et outils embarqués

  • Les tablettes ou smartphones reliés au dossier de soins sont de plus en plus présents. Traçabilité « au fil de l’eau », réactivité si changement d’état de santé, suppression des allers-retours au poste de soins.
  • Les solutions comme HOPPEN, MEDgic ou Wittyfit se développent pour faciliter ce nomadisme du soin.

Les transmissions ciblées : fluidifier et sécuriser la continuité

Errer dans la paperasse ou manquer une information capitale : pour l’équipe, ce sont souvent les transmissions qui font la différence entre une organisation efficiente ou brouillonne. Les transmissions ciblées structurées se sont imposées progressivement en EHPAD, souvent avec le modèle SOINS :

  • Situation : de quoi s’agit-il ?
  • Observations : faits marquants, évolution clinique
  • Impacts : sur le plan de soins, la qualité de vie
  • Nécessité : action à prévoir, rôle de chacun
  • Synthèse : ce qu’il faudra surtout retenir

Ce format, partout déployé depuis les recommandations de l’ANESM (devenue HAS) en 2017, clarifie, responsabilise et limite les pertes d’informations.

A noter : 41 % des EHPAD ont une solution de transmissions numériques reliée à leur dossier de soins, ce qui augmente de 23 % le taux d’incidents signalés et donc la réactivité de l’équipe (source : Fédération des établissements hospitaliers & d’aide à la personne privés non lucratifs, FHP, 2022).

Plans personnalisés et protocoles : une boussole partagée pour le soin individualisé

Planifier en EHPAD, c’est jongler avec des dizaines de protocoles tout en adaptant le projet aux besoins et préférences de chaque résident. Le plan personnalisé de soins (PPS) reste le référentiel – exigé par l’ARS et la Haute Autorité de santé (HAS) – où sont consignés :

  • Besoins repérés par l’équipe pluridisciplinaire
  • Actions prévues et programmées dans le temps
  • Réévaluation à intervalles réguliers (minimum trimestrielle, idéalement tous les deux mois en gériatrie dépendante)
  • Inclusion du résident et/ou de sa famille dans la réflexion

Deux tiers des EHPAD français, selon l’enquête Ehpad Innov 2022, se sont dotés d’un outil informatisé de gestion du PPS – un levier majeur pour la personnalisation et la continuité. Les protocoles de soins validés sont également accessibles rapidement depuis le dossier informatisé, adaptés selon les recommandations nationales (par exemple le guide PAERPA pour la prévention des chutes).

Les outils d’analyse et d’anticipation : évaluer pour mieux planifier

Il devient difficile de parler de planification sans évoquer les grilles d’évaluation standardisées. Elles permettent d’objectiver et de hiérarchiser les besoins :

  • AGGIR : détermination du niveau de dépendance (GIR 1-6), directement liée au dimensionnement de l’accompagnement
  • Mini-Nutritional Assessment (MNA) : repérage des risques de dénutrition, orientant les plans alimentaires
  • Échelle Doloplus, Algoplus : évaluation de la douleur, souvent sous-identifiée chez le grand âge
  • Grille A.B.C.D.E. de suivi des escarres, ou Échelle de Braden

L’intégration de ces scores dans le logiciel de planification permet d’automatiser alertes et rappels : 26 % des résidents présentent au moins un épisode de dénutrition chaque année (source : Programme national nutrition santé, PNNS). Un plan de soins ajusté et transmis dès identification du risque démultiplie la réactivité et la pertinence du suivi.

La veille et l’amélioration continue : planifier, c’est aussi apprendre de l’expérience

Les EHPAD sont de plus en plus outillés pour tirer des enseignements de chaque situation de soins. À côté des outils structurels, les cellules de gestion des risques (CGR), audits internes et retours d’expérience sont désormais des temps forts à part entière de la planification.

  • Revues de morbi-mortalité : analyse collective de situations à fort enjeu, identification des points à améliorer dans la planification ou la coordination (HAS, Retour d’expérience des EHPAD, 2023)
  • Indicateurs d’activité : taux de réalisation des actes, rappels non effectués, suivi des délais de prise en charge
  • Audits croisés pluridisciplinaires pour évaluer la pertinence des plans de soins et l’adéquation entre besoins repérés et actions mises en œuvre

Les établissements qui intègrent ces outils observent une réduction moyenne de 15 % des événements indésirables évitables (source : FNEHAD, 2023).

Une palette d’outils qui n’a de valeur qu’au service d’une culture partagée

En vérité, le meilleur outil de planification ne remplace jamais le dialogue d’équipe, le sens clinique, la capacité à réinterroger l’habitude. Mais il les soutient, les déclenche parfois, et leur permet surtout d’exister au service de la personne. La planification en EHPAD n’est pas une science immobile ; elle s’ajuste à l’histoire, à l’urgence, à l’humain. L’enjeu n’est pas tant de multiplier les solutions que de les intégrer de façon intelligente dans la culture du soin. Organiser aujourd’hui, c’est garantir demain – et continuer à faire du soin un acte de rigueur, où la qualité se niche d’abord dans l’attention portée à chacun.

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